Je reçois de nombreuses jeunes mamans au cabinet. La plupart d’entre elles ont eu recours à la péridurale pour leur accouchement. Même si la majorité du temps tout se passe très bien et que cette anesthésie permet à la fois de limiter la douleur tout en ressentant la venue au monde de l’enfant, quelques femmes en garde un moins bon souvenir.
En parcourant le web, je suis tombée sur cette article très bien fait qui pourra répondre à pas mal de vos interrogations sur la péridurale, tiré du blog « allaiter bonheur et raison ». On y explique aussi pourquoi certaines mises au sein sont parfois plus compliquées pour les femmes qui ont le désir d’allaiter leur enfant. Bonne lecture à vous!
Plus de 60 % des femmes ont recours à la péridurale en France pour accoucher. Cette possibilité de moins souffrir pendant les contractions (accouchement normal par voie basse) est un choix dans la majorité des cas (cela est parfois imposé).
Comme toujours, lorsqu’il s’agit de choisir, il me semble important de posséder l’ensemble des informations disponibles sur le sujet : pour un choix parfaitement éclairé.
Malheureusement, ces informations ne sont pas toujours données lors de la consultation de fin de grossesse avec l’anesthésiste. On recherche les contre-indications, on vous explique plus ou moins précisément en quoi consiste l’intervention, les bénéfices et éventuellement les risques. En ce qui concerne ce dernier point, on évoque ceux liés à la paralysie des membres inférieurs par compression nerveuse (réversibles dans une écrasante majorité de cas), des céphalées, des douleurs dorsales… mais assez peu de choses sur les difficultés qui peuvent survenir au moment de l’accouchement et lors des premiers instants de vie du bébé. Rien de bien méchant (peut-être est-ce la raison pour laquelle tout cela n’est pas évoqué) mais tout de même ! Cela peut avoir des effets certains sur le ressenti de la mère, la mise en route de son allaitement, …
Je vous propose de regarder les effets de la péridurale sur la mère et l’enfant, en faisant un petit tour de la littérature scientifique.
La péridurale, c’est quoi ?
La péridurale consiste à injecter un produit anesthésiant localement dans l’espace péridural : l’espace qui se situe autour (« péri ») de la « dure-mère » (membrane dure et rigide qui protège la moelle épinière).
Sur le principe, l’effet anesthésiant bloque la transmission de l’influx nerveux mais ceci à la fois au niveau des nerfs sensitifs (ce qui soulage de la douleur) mais aussi au niveau des nerfs moteurs (d’où l’engourdissement voire l’impossibilité de bouger les membres inférieurs).
Ces dernières années, les péridurales sont plus faiblement dosées ce qui a pour effet de réduire le blocage des nerfs moteurs et permet aux mamans de marcher (plus efficace pour la descente naturelle du bébé d’une part et d’autre part, il a été observé que bouger, marcher permet de réduire la douleur).
NB : On parle de rachianesthésie (ou anesthésie spinale) lorsque l’injection du produit anesthésiant se fait en passant au travers de la dure-mère : l’effet en sera une anesthésie puissante de toute la partie basse du corps et employée pour un accouchement par voie haute (césarienne).
Le ressenti des mères
L’efficacité de la méthode est élevée : la plupart des mamans accueillent la péridurale avec grand bonheur lorsqu’elles n’arrivent plus à gérer la douleur (il n’y a pas de honte !)
La revue Cochrane (2011) portant sur 9958 femmes parturientes est claire sur le sujet : « Les péridurales ont permis de soulager la douleur ressentie lors de l’accouchement mieux que n’importe quel autre type d’analgésique ».
La douleur est une chose mais le ressenti global de l’accouchement en est une autre. Bon nombre de mamans ont fait part de difficultés survenues suite à la péridurale et finalement l’impression globale de la naissance de leur enfant s’en est trouvée relativement mitigée.
Les effets de la péridurale sur la phase de travail
Comme le souligne la revue Cochrane, la péridurale rallonge la durée du travail et entraîne une augmentation de l’utilisation d’instruments d’aide à l’accouchement (forceps, ventouse) qui ne sont pas sans risques pour le bébé. Notamment, lorsque l’analgésique est utilisé dans la seconde étape du travail (à partir de la dilatation complète)
Pourquoi ?
Tout simplement parce que les produits analgésiques vont interférer avec les principales hormones secrétées par la mère lors des phases de travail et d’expulsion.
Parmi celles-ci, l’ocytocine libérée en grande quantité en début de travail et au moment de l’expulsion, se trouve fortement diminuée par la péridurale. Les contractions utérines sont donc moins efficaces, surtout lors de la naissance (d’où le besoin d’assister le processus par des instruments).
Une autre hormone agissant sur les contractions utérines (la prostaglandine) est également réduite en cas de péridurale.
Mais d’autres impacts sont également évoqués dans les études. Notamment, un effet direct de la péridurale sur les muscles maternels qui deviennent « engourdis » indépendamment même de l’effet hormonal évoqué plus haut.
Les muscles du plancher pelvien sont particulièrement « ralentis » sous l’effet de la péridurale. Or ces muscles sont utiles dans la phase de guidage du bébé dans la bonne position pour sa naissance. Il y a donc plus de risques que l’enfant ne se présente pas dans la bonne position (présentation du bébé par la face au lieu d’une présentation par le sommet).
Effets sur l’allaitement maternel
Ces effets sont vraiment peu évoqués et commencent seulement à faire l’objet de recherches.
La péridurale peut (attention ce n’est pas du 100% ! heureusement) affecter le bon déroulement de l’allaitement, notamment sa mise en route. Or on sait, qu’un allaitement qui démarre mal est plus difficile à mettre en place et le taux d’abandon plus élevé alors que les mamans souhaitaient cette expérience. Bref, c’est dommage !
Quelles sont les principales difficultés recensées ?
Le bébé a été exposé à l’analgésique de la péridurale et ne se comporte pas de façon « classique » dans les premières heures de la naissance. Il ne recherche pas spontanément la succion, pas de comportement de breastcrawling, ne s’attache pas au sein de sa mère.
Les publications à ce sujet, évoquent le plus grand nombre d’échecs à l’allaitement en cas de péridurale et soulignent l’importance d’un accompagnement plus marqué pour ces mamans-là pour les aider à bien démarrer. La plupart des preuves viennent d’études de cohortes dont certaines portant sur un très grand nombre d’observations mais il y a toujours des risques de biais ou de facteurs confondants : rien ne vaut des études expérimentales en double aveugle pour trancher. Celles-ci sont évidemment, vu le contexte, difficile à obtenir.
Néanmoins, un argument de poids, est l’effet dose-dépendant qui apparaît via certaines études (voir étude publiée par Ransjo-Arvidson en 2001). Dans le cas des accouchements déclenchés, où les contractions sont fortes, le dosage de la péridurale est plus élevé. Dans ces cas de figure, la mise en route de l’allaitement est généralement retardée (voir étude Guerra et al, 2009).
Pour les péridurales très faiblement dosées, il semble que le comportement instinctif de l’enfant pour se nourrir, ne soit pas affecté. (voir étude Radzyminski, 2003)
Pourquoi cet effet ?
Les opioïdes administrés à la mère passent inévitablement dans l’organisme du nouveau né, soit via le placenta soit via le colostrum. L’impact sur le comportement du nourrisson sera maximal dans les premières heures qui suivent la naissance, au moment même où la première tétée se met en place.
Comme évoqué un peu plus haut, l’analgésique perturbe la production d’ocytocine chez la mère ce qui peut perturber la mise en route de la lactation. Les mamans sous péridurale ont plus souvent l’impression de ne pas avoir suffisamment de lait (étude Volmanen, 2004), elles perdent confiance en elle et c’est le début de la fin. Encre une fois, le soutien, l’accompagnement dans ce cas de figure sont primordiaux.
Mais il ne semble pas y avoir encore à l’heure actuelle, de consensus quant à la distinction de la part de ces deux mécanismes.
Autres facteurs influants
Au-delà de la dose, il semblerait que selon l’analgésique employé, l’effet soit plus ou moins prononcé, notamment au niveau de la cinétique de passage chez le nourrisson (selon que la molécule employée soit liposoluble ou non). Deux noms reviennent assez souvent dans les publications : la Bupivacaïne et le Fentanyl.
Le Fentanyl est un opioide (dérivé de la morphine), lipo-soluble, transféré rapidement chez l’enfant
La Bupivacaïne est un anesthésique local puissant (amino-amide), avec plus de risque de blocage moteur surtout si administrée avec de l’adrénaline.
D’autres produits plus récents ont été développés mais nécessitent plus de recul.
D’autres facteurs peuvent également jouer : la concentration « locale » en produit anesthésiant, la méthode d’injection (continue ou intermittente) et des effets liées à la parturiente (état vasculaire par exemple).
Conclusion : la péridurale est-elle compatible avec un bon démarrage de l’allaitement ?
Force est de constater que depuis plusieurs années, les anesthésistes sont de plus en plus performants : un dosage extrêmement bien adapté pour vivre un accouchement « confortable » sans les effets secondaires que nous avons évoqués. Il peut néanmoins, dans certains cas, y avoir un lien entre la péridurale et les difficultés de mise en route de l’allaitement.
C’est pourquoi, les bénéfices et risques de la péridurale doivent être évalués au cas par cas.
Retenons aussi, qu’il est possible de mener à bien un allaitement même en cas de péridurale plus fortement dosée mais un accompagnement, aide à l’allaitement est plus certainement nécessaire.
Il est souhaitable que les mamans emmagasinent quelques connaissances sur le sujet afin de pouvoir exposer leurs désirs, de poser toutes les questions nécessaires lors de la visite prénatale avec l’anesthésiste.
Il est également recommandé aux mamans (si les maternités les mettent en place) de suivre les cours de préparation à la naissance, même si elles en ont déjà une ou plusieurs expériences préalables. Peut-être que la découverte de nouvelles techniques de relaxation, de détente, d’exercices (marche, mouvements sur balle de gymnastique) peuvent aider à éviter tout simplement la péridurale.
Références utilisées
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